Dans les années 80, avoir un ordinateur chez soi était plutôt rare.

A la maison, celui de mon père, informaticien, trônait au milieu du salon. Il me parlait de système binaire, de bits, du langage MS-DOS et Basic pendant que des symboles abstraits défilaient sur l’écran noir. Je ne comprenais rien, mais sa fascination et son enthousiasme pour ce nouvel outil suffisaient à capter mon attention. Pourtant, ça ne l’empêchait pas de rentrer chaque soir le visage soucieux et fatigué. De façon inexplicable, son travail devenait quelque chose d’infiniment pénible. 

Ce n’est qu’au moment d’entrer dans la vie active que tout s’est éclairci : le poids de la hiérarchie, l’optimisation du temps de travail, les clauses de mobilité… Une suite d’aliénations qui me heurtent profondément, car lorsque mon père a quitté le Vietnam pour la France, c’était guidé par la promesse d’une vie meilleure grâce au travail. Mais focalisées sur la rentabilité et les indices de performance, les entreprises font subir aux salarié.es une pression grandissante. Opacité de l’information, sentiment d’impuissance et d’infantilisation, harcèlement moral, burnout et suicide : la souffrance au travail est une constante du monde professionnel. En réaction à cette dimension contradictoire du travail, entre ce qu’il est et ce qu’il devrait être, j’ai décidé de suivre des personnes qui cherchent une issue à l’asservissement dans lequel le système ultra libéral les plonge, et d’explorer ce qu’il est encore possible de faire en termes d'émancipation et d'épanouissement.